cour-constitutionnelleSur base d’un arrêt de la Cour constitutionnelle du 23 juin 2010, la "petite discipline" pourra désormais faire l'objet d'un recours en annulation devant le Conseil d'État, sur base des mêmes principes qui ont toujours prévalu pour la "grande discipline".

En effet, le 3 novembre 2009, le Conseil d'État a posé la question préjudicielle suivante à la Cour correctionnelle : "L'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'État viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution s'il est interprété en ce sens que les peines disciplinaires qui sont infligées aux militaires ne sont pas des actes susceptibles d'annulation, alors que les peines disciplinaires qui sont infligées aux autres membres des Services publics le sont ?".

Les différents régimes: Pour rappel, les militaires, contrairement aux autres agents de la Fonction publique, sont soumis à deux régimes disciplinaires. Le premier, appelé "petite discipline", est axé sur le maintien de la capacité opérationnelle (rappel à l'ordre, remontrance, consignes, arrêts simples et arrêts de rigueur). Le second, appelé "grande discipline", est axé sur les mesures à caractère statutaire (retrait temporaire ou définitif d'emploi et bientôt la retenue sur salaire).

Position du Conseil des Ministres: Selon l’Autorité, la volonté du législateur lors des travaux préparatoires sur la loi du 23 décembre 1946 portant création d'un Conseil d'État fut d'éviter qu'un recours puisse compromettre le maintien de la discipline au sein de l'Armée. En outre, un militaire ne serait pas un fonctionnaire "ordinaire" puisqu'il est soumis à un régime disciplinaire spécifique, caractérisé par des obligations lourdes (telle que l'obligation de servir au péril de sa vie), qu'il est soumis à des restrictions de certains droits et libertés fondamentaux (comme l'interdiction de faire grève).

État de droit: Dans un État de droit, toute personne, (et par conséquent un militaire aussi !), a droit à un contrôle de la légalité du déroulement d'une procédure pouvant entraîner une privation de liberté ou pouvant avoir des conséquences pécuniaires. Or, les consignes, arrêts simples ou arrêts de rigueur ne répondent pas à ce principe. Les militaires ne disposeraient-ils pas des mêmes droits ? Lorsque l’Autorité inflige une privation de liberté, elle ne respecte pas les exigences de l'article 12 de la Constitution qui dit que : "La liberté individuelle est garantie. Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée d’un juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les 24 heures". Il en va de même quant au respect de l’article 5 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Cour européenne des Droits de l'Homme: En 2007, la Cour européenne des Droits de l'Homme à Strasbourg avait rendu un arrêt condamnant la Turquie suite à une sanction disciplinaire infligée à un membre des Services publics pour avoir participé à une manifestation visant à défendre le pouvoir d'achat, car la Constitution turque précisait que "les décisions en matière disciplinaires peuvent être soumises au contrôle d'un juge, à l'exception de l'avertissement et du blâme". Cette condamnation devait déjà nous mettre sur la piste de l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle, étant donné qu'il s'agit ici de manquements bien plus graves.

Même si la Convention des Droits de l'Homme reconnait que certaines restrictions peuvent être imposées aux membres de la Police, des Forces armées ou de l'Administration de l'État, celles-ci doivent se faire de manière licite. Pour les militaires, il n'existe plus de juridiction dotée d'un pouvoir juridictionnel suffisant depuis la suppression des Tribunaux militaires. Ceci devrait être un argument supplémentaire pour considérer le Conseil d'État compétent pour annuler l'acte d'une autorité administrative qui se rendrait coupable d'excès de pouvoir.

Motivations de la Cour: C'est donc sans grand étonnement que la Cour dit pour droit que "si le Conseil d'État interprète sa législation en ce sens que les punitions disciplinaires infligées aux militaires ne sont pas des actes susceptibles d'annulation, alors dans ce cas, l'article 14 de la loi du 23 décembre 1946 viole les articles 10 et 11 de la Constitution (les Belges sont égaux devant la loi — la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination)". Donc, les différentes mesures disciplinaires reprises dans la "petite discipline" sont susceptibles d’un recours devant le Conseil d’État.

Quelle solution pour un retour à la légalité ? Il est certain qu'avec cet arrêt, le Chef de la Défense est confronté à un sérieux problème et qu'il a bien du souci à se faire pour la prochaine législature. Il n'existe pas 36 solutions pour que la Belgique respecte la Charte européenne des Droits de l'Homme et sa propre Constitution. Soit une entité juridictionnelle est créée, ce qui revient à dire qu'il faut un retour à l'ancien système des Tribunaux militaires contre lesquels la CGSP a toujours combattu, soit le prochain Ministre de la Défense prend le dossier en main et légifère une fois pour toutes sur nos mesures disciplinaires qui posent problème depuis de nombreuses années (ce que nous avons dénoncé à de multiples reprises).

Pour nous, il est évident que le système disciplinaire doit être revu. Il ne reste plus qu'à trouver la volonté politique pour qu'enfin les membres du personnel de la Défense soient considérés comme tous les autres fonctionnaires ! Reste la question de savoir quand nous aurons un nouveau Ministre…